Eva Jospin est une artiste française connue pour son approche unique de la sculpture. Les paysages raffinés et complexes qu’elle crée à partir de carton explorent la relation entre nature et culture tout en questionnant nos perceptions de la matérialité. Folies, l’exposition inaugurale de l’artiste avec la galerie et la première au Mexique, dévoile l’étendue de la pratique de Jospin et incarne l’aboutissement formel, matériel et conceptuel de son travail à ce jour. Comprenant une installation immersive adaptée à l’un des espaces de la galerie, et une série de nouveaux dessins, sculptures et tapisseries de soie, l’exposition met en avant de magnifiques et mystérieuses représentations de grottes, de forêts et d’architectures en ruines qui évoquent le sublime, le surnaturel et même le magique. Le titre de l’exposition, Folies, fait référence à la fois à la fascination de Jospin pour les folies ou fabriques de jardin, de somptueux bâtiments ornementaux populaires dans les années 1700 et 1800. On les trouvait dans les jardins anglais et français ou dans les parcs. Ceux-ci n’avaient aucune utilité pratique, et sont à la racine française du mot anglais « foliage ».
Artificiel au sein du naturel, les folies traditionnelles étaient des symboles pittoresques d’extravagance, imitant les architectures classiques (souvent des ruines de temples grecs ou romains et de tours gothiques) pour créer des espaces où les fantasmes avaient libre cours. La pièce maîtresse de l’exposition de Jospin, Galleria (2022), est une installation immersive qui fonctionne de la même manière qu’une folie, transformant entièrement les murs blancs de la première salle de la galerie en un environnement éthéré, presque post-humain, où les arbres, les racines et les formations rocheuses se transforment en colonnes, en arcs et en niches classiques. Composée de couches de carton ondulé sculptées de manière complexe, Galleria occupe l’espace tout juste perceptible entre la flore et l’architecture, l’intentionnel et l’accidentel, l’élégant et le déconcertant. L’installation monochrome est interrompue par les poches de couleur des tapisseries, dessins et miniatures de paysages reposant dans les niches. Comme la merveille protocinématographique des folies traditionnelles, Galleria pose un décor permettant aux spectateurs de s’échapper dans leur propre curiosité et leur propre imagination.
Bien que les folies soient principalement faites de matériaux de construction traditionnels comme la pierre, le marbre ou la brique, le matériau de choix de Jospin embrasse la fragilité et la temporalité. Après avoir étudié le dessin, la peinture et la sculpture à l’École nationale supérieure des beaux-arts, Jospin a fait du carton son matériau principal en raison de son accessibilité, de sa versatilité, de sa malléabilité et de son lien avec la vie quotidienne. Elle s’est intéressée en particulier au fait qu’il s’agisse d’un matériau modeste qui, bien qu’utilisé partout dans le monde, est souvent négligé et considéré comme un déchet. Folies comprend une série de sculptures qui reflètent le monde naturel et montrent l’étendue de l’utilisation du carton par Jospin. Dans Grotte (2023), l’artiste crée le diorama d’une structure baroque italienne à dôme sculptée directement dans la roche d’une grotte. Les murs intérieurs sont parés de plantes grimpantes méticuleusement sculptées, d’une pointe de papier coloré, et incrustés de coquillages, de pierres et de laiton. Le niveau de détail atteint par Jospin en ponçant, découpant et sculptant, transforme le carton en parois rocheuses abruptes, en moulures ornées, en boiseries complexes et en plantes grimpantes et branches enchevêtrées.
Jospin utilise des techniques proches de l’assemblage, qui sont additives plutôt que soustractives, et compliquent la dimensionnalité. 2 Forêts (2023) est le panorama à grande échelle d’une forêt aride encadrée de deux falaises abruptes. Composée entièrement de carton, la simulation de forêt, de roche, de couches stratifiées de terre et de systèmes de racines à leur base est soigneusement construite pour ressembler à la nature. Le collage du carton, bien que matériau modeste, a été à l’origine d’expérimentations dans certains des plus importants mouvements de l’histoire de l’art. Les cubistes du début du XXe siècle, par exemple, ont utilisé le carton et l’assemblage pour remettre en question la perspective restrictive à un seul point de vue qui dominait la représentation depuis la Renaissance. La manipulation de ce matériau par Jospin illustre sa capacité à utiliser à la fois l’illusion et la réalité à travers des effets de trompe-l’œil. À distance, l’œuvre semble être une réplique/maquette parfaite d’une forêt. Cependant, Jospin laisse souvent des éléments du carton ondulé intacts, et après observation plus rapprochée, la sincérité de la texture perturbe l’illusion. L’effet est vertigineux quand on tente de distinguer le matériau, la dimensionnalité et la construction d’une réalité perçue.
Tout en employant des motifs reconnaissables des environnements naturels et bâtis, l’exactitude de Jospin met en lumière sa capacité à transformer un matériau commun et éphémère en des environnements attrayants et surréels. L’espace entre le réel et le fictif, le familier et l’étrange, est l’endroit où l’œuvre de Jospin s’épanouit. L’artiste explique : « mon œuvre est figurative, mais ce n’est pas une illustration ; c’est une composition formée d’un peu de tout. » La nature composite de l’œuvre invite à prendre assez de distance par rapport à la référence originale pour permettre au spectateur d’employer sa propre imagination et ses propres souvenirs et rêves. Dans la broderie de soie et les dessins montrés dans Folies, Jospin va encore plus loin dans les possibilités imaginaires et ludiques de la nature. Galleria (2023), une broderie au fil de soie sur toile de soie, représente le propre monde construit de Jospin en ruines. Dans cette image, les murs de l’installation sculpturale Galleria sont dépassés par les éléments naturels (plantes grimpantes, arbres, pierres). Les dessins et les broderies fonctionnent comme des échos ou des fantômes de leur contrepoint sculpté, rendant encore plus confuse la frontière entre la réalité et la fiction.
Occupant les espaces d’entre-deux (dessin et sculpture, naturel et artificiel, beauté et étrangeté), les œuvres présentées dans Folies fonctionnent de la même manière que le folklore ou les contes. Jospin a déclaré : « Je m’intéresse au fait que nous avons besoin de créer de faux mondes pour comprendre le monde réel. » Dans le folklore et les contes traditionnels, la nature (souvent la forêt) sert de scène fantastique pour des leçons de vie, des avertissements ou des récits de transgression humaine. Jospin amplifie l’ambiguïté, qu’elle utilise comme un outil pour intégrer l’esprit de l’illusion dans son travail et, comme dans le folklore, inviter à des expériences qui englobent la saccharine et la joie, l’inquiétant et l’effrayant.
- Anna Stothart, curatrice indépendante