Mariane Ibrahim a le plaisir de présenter la première exposition personnelle de Shannon T. Lewis à Paris, intitulée One return led to another - Retour Perpétuel. L’exposition sera visible du 4 avril au 25 mai 2024.
Les œuvres de Shannon T. Lewis sont dans un état de devenir continu. Les sujets, bien que segmentés, sont montrés étirés à travers des scènes ou pris dans un moment avant le mouvement, partageant un air d’intensité tranquille. Le corps fragmenté reste un corps actif ; ce qui devient possible car l’artiste utilise le collage avant de traduire l’image en peinture. Rarement représentés sous une forme corporelle entière, les appendices de chaque sujet sont montrés émergeant d’une scène alternative ou s’y abandonnant, contrastant avec leur réalité présente. Les éléments d’architecture domestique deviennent des portails créés par l’artiste, encourageant chacun à questionner sa relation avec le sujet, qu’elle soit antérieure, souhaitée ou réelle. Quoi qu’il en soit, l’artiste déclare « l'avenir nous ait inconnu ».
À travers l’assemblage et la convergence de l’image et de la forme, Lewis crée des œuvres qui perturbent la linéarité de la temporalité. En décortiquant de nombreuses images accumulées, dont certaines capturées par l’artiste et d’autres recueillies à partir de sources littéraires, elle invoque le passé, le mettant en avant pour notre arrivée. Elle parvient à « … [non pas] remonter le temps, mais accélérer le passé… », pour référencer Homi K. Bhabha, vers notre présent, alors que nos yeux retrouvent une iconographie que nous avons peut-être abandonnée depuis longtemps. Le résultat est un ensemble d’œuvres qui traverse subtilement les plans du passé, du présent et du futur, trouvant sa place à leur intersection.
La répétition d’imagerie dans certaines des œuvres suggère un déjà-vu, comme pour flirter avec la temporalité, les détournant de la production d’une narration linéaire et sensée. Pour certains, la répétition est un renforcement, mais pour Lewis, elle est la méthodologie d’une perturbation ; tout comme l’est un regard averti, la centralité du dos du corps et l’inclusion d’une échelle de gris. De tels mécanismes de refus sont la réalisation intentionnelle d’une subversion au sein des formes picturales, à la fois dans la composition et en lien avec leur spectateur. Si les tableaux ont historiquement fonctionné comme un lieu de fabrication d’image qui centralise le plan frontal de son sujet et offre une révélation à chaque étape, l’œuvre de Lewis privilégie son sujet en l’encourageant à se tourner vers l’intérieur. Leurs performances ne sont pas destinées au spectateur, mais plutôt à eux-mêmes, entre eux. Nous devenons témoins d'une conversation et d'une chorégraphie qui se déroulent à travers des diptyques et dans toute la galerie, nous demandant ainsi de ralentir le pas, pour favoriser notre lecture et notre révélation collectives
Dans cette exposition, chaque image existe en lien avec une autre. Tout comme, pour l’artiste, chaque mouvement migratoire a apporté une clarté sur elle-même et sur son ascendance. Avec des origines à Trinité, Lewis a déménagé de Toronto à Londres, puis à Berlin, la menant à explorer des questions telles que « qu’est-ce qui impulse un mouvement à travers l’espace » et « comment peut-on être à la fois enraciné et en devenir, simultanément ? ». Lewis tente de répondre à ses propres interrogations à travers cette exposition et ouvre la voie pour que nous puissions tous faire de même. Comme le suggère le titre, les actions vues dans une composition créent l’énergie qui déclenche une réponse dans une autre. One return led to another - Retour Perpétuel utilise le cyclique, le régénératif et le perturbateur pour remettre en question la centralité du foyer et les modes d’appartenance dans un monde de plus en plus migratoire.
Texte écrit par l’autrice et curatrice Jenée-Daria Strand, à l’occasion de l’exposition.