Mariane Ibrahim a le plaisir de présenter la première exposition personnelle de Chae Sung-Pil à la galerie à Paris, intitulée Terres de Rêves. L’exposition sera visible du 7 décembre 2023 au 27 janvier 2024.
Chae Sung-Pil (né en 1972, vit et travaille à Méry-sur-Oise) utilise la terre comme base de son œuvre depuis la fin des années 1990.
C’est lors d’un voyage d’études, effectué avec pour tout équipement un carnet de croquis, qu’il utilise pour la première fois de la terre délayée comme pigment. Jusqu’au départ de Chae Sung-Pil pour l’Europe, celle-ci est employée à la manière d’un lavis, au sein de compositions figuratives, et participe d’une volonté de rupture avec l’organisation spatiale des peintures traditionnelles. L’étagement des plans et la transcription de la profondeur sont partiellement niés par un goût pour le remplissage homogène des surfaces et pour l’abolition des perspectives, consécutive au choix d’une ligne d’horizon placée hors champ.
Dès lors, le travail de Chae Sung-Pil repose sur la manière d’utiliser ces pigments naturels, d’en respecter et d’en explorer le symbolisme ainsi que les propriétés topiques autant que plastiques. Si ces terres, qu’il ramasse souvent lui-même en Corée et ailleurs, possèdent en effet des couleurs et des qualités diverses en fonction de leur origine, elles lui apparaissent en premier lieu comme une matière primordiale et démiurgique à laquelle s’identifie par homologie son activité artistique.
Les théories et techniques mises en œuvre s’inscrivent dans les cadres élaborés en Chine par des siècles de littérature picturale. Chae Sung-Pil estime que l’acte créatif doit être corrélé au procès de formation et d’évolution constante de l’univers ; il fait ainsi référence de manière récurrente au yin 陰 et au yang 陽, pôles contraires à la base de la cosmologie chinoise et dont l’alternance est manifestée par la succession des pleins et des vides, ainsi qu’à la théorie des cinq éléments (wuxing, 五行), dont les interactions contribuent au bon fonctionnement du monde.
Les matériaux et procédés employés permettent de reconstituer ce microcosme : la terre est utilisée comme pigment ; l’eau la délaye ; le métal argenté, en fait de la poudre de perles, constitue la couche de fond, et le feu est, selon Chae Sung-Pil, engendré par la force de l’encre, mélangée à la glèbe et elle-même résultat d’une combustion de bois. À l’implication corporelle totale de l’artiste dans la réalisation de ses œuvres s’ajoute l’interaction de matières et de processus naturels partiellement incontrôlés. Sur les toiles posées au sol, Chae Sung-Pil applique en de grands gestes ses couleurs au moyen de pinceaux qu’il a lui-même confectionnés. Puis il fait couler de l’eau sur le support, incliné pour diriger les ruisselets qui emportent les sédiments appliqués en surface. Le cas échéant, il parachève la composition à l’aide d’une éponge, afin d’ôter les dépôts superflus.
Plus structurées et contrôlées à partir de 2007, les compositions laissent apparaître une dimension paysagère forte. Par la suite, le caractère figuratif des traînées de pigments semble s’estomper au profit de semis de lignes et de larges ondes colorées qui tendent moins à représenter une orographie particulière qu’à réactualiser sur toile la création du monde.
La sélection de toiles vertes et bleues opérée à l’occasion de la présente exposition vient mettre en valeur certaines tendances récentes du travail de Chae Sung-Pil, qui affirme de plus en plus clairement sa sensibilité de coloriste et son goût pour une pratique gestuelle.
Texte « Une peinture cosmologique » écrit par Mael Bellec, conservateur au musée Cernuschi.
Chae Sung-Pil: Terres de Rêves
Past exhibition