Mariane Ibrahim a le plaisir de présenter la seconde exposition personnelle de Ian Micheal intitulée Intimités et sa première en Europe, dans l’espace parisien du 8 juin au 22 juillet 2023.
Les tableaux de Ian Micheal représentent des moments, des gestes, des zones urbaines, des quartiers et des populations, en Californie, au sein desquels il situe sa pratique picturale. Son œuvre est fortement axée vers l’intérieur, ce qui signifie que ses tableaux prennent souvent place dans des espaces domestiques confortables, tels que des chambres ou des cuisines, des jardins et des cours, et dépeignent des personnages affichant une familiarité, une intimité, ou une forte proximité. Dans une interview,[1] Micheal explique que ses personnages sont de grande taille, que cela va de pair avec l’échelle humaine de ses peintures qui peuvent sembler monumentales. Un bref examen des vues de sa première exposition à la galerie Mariane Ibrahim à Chicago révèle à quel point seulement trois ou quatre de ses tableaux arrivent à dominer l’espace d’exposition. Sur un plan technique, Micheal vise à parfaire son support et ponce souvent la toile préparée jusqu’à ce qu’elle soit lisse avant d’appliquer la peinture. L’effet, combiné avec son choix de couleurs froides « rose voilé » ou « rose rosé », par opposition au « rose achillée » ou « rose autoritaire », crée des attributs de « douceur » et de « fraîcheur ». Ils rappellent l’historien de l’art Robert Farris Thompson, qui les définissait comme des notions de « caractère ».[2]
Malgré cette esthétique séduisante, Micheal, habitant Oakland, évoque la réalité impertinente et audacieuse de la vie dans sa ville. Si les tableaux de Micheal s’inspirent des mouvements sociaux, politiques et artistiques d’Oakland, son travail peut être défini par ce que le philosophe La Marr Jurelle Bruce appelle « le moment schizophrène ».[3] L’artiste de Los Angeles Ed Ruscha a été influencé par la ville cossue d’Hollywood dans le comté de Los Angeles pendant les années 1960 : par son atmosphère glamour et par la constante expansion du domaine des médias et de la publicité investissant désormais les panneaux d’affichage et la signalétique urbaine. Ces supports sont devenus des sources d’inspiration pour les artistes et les architectes.[4] Nous pouvons affirmer sans se tromper que Ian Micheal a été influencé par le décor de zones en développement, par le marché de l’immobilier, et simultanément par les vastes sous-cultures de Oakland, ville qui a connu des bouleversements sociaux, politiques et artistiques particuliers.
Micheal est influencé par cette forme d’expression publicitaire. Mais allant au-delà d’un simple « pluralisme » des formes,[5] le travail de Micheal aborde des questions urgentes du présent d'une manière qui tend vers un autre type de pratique artistique que celle popularisée par Ruscha. Nous nous concentrons ici sur la manière dont l’artiste s’intéresse à des populations noires spécifiques, à des quartiers particulièrement modestes, à des formes spécifiques d’intimité queer. Ce regard que porte Micheal complexifie le paysage de la « signalétique » et des formes plurielles de la peinture californienne. Le charme des néons de Rodeo Drive est remplacé par le rose voilé du carrelage de la salle de bain du Rose Motel à Compton.
En d'autres termes, si, comme l'affirme l'architecte Denise Scott Brown, « la ville peut être considérée comme les artefacts construits d'un ensemble de sous-cultures »,[6] nous pouvons facilement évaluer comment les quartiers particuliers d'Oakland constituent une source critique pour l'artiste. La dynamique sociale de cette ville, fondée au XIXe siècle, témoigne de la trajectoire sociale et politique de la nation au cours du siècle dernier incluant la migration des populations blanches et le renouveau urbain.[7]
L’aspect général des tableaux de Micheal renvoie à l’art du portrait du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Il est ici fait référence à la façon dont la représentation humaine est l’élément le plus important des toiles de Micheal, tandis que l’architecture forme un arrière-plan limité, quoiqu’important. Bien qu’il s’agisse d’une tendance évidente chez les peintres modernes tels que John Singer Sargent, nous pouvons toujours constater l'impulsion postmoderne de ses peintures. À cet effet, le regard que pose Micheal sur le Rose Motel à Compton est remarquable par l’utilisation particulière qu’il fait du carrelage de salle de bain rose et voilé comme motif. Dans la peinture éponyme, celui-ci apparaît comme une extension du couchage sur lequel les deux personnages sont confortablement installés. Quant à l’enseigne du Rose Motel, elle est intégrée au mur intérieur de la chambre plutôt que placée à l’extérieur, isolée sur le parking aux abords de la route.
Texte « Coolness and Humdrum : Ian Micheal's Paintings in California » rédigé à l’occasion de l’exposition par l'écrivain et curateur Serubiri Moses.
[1] Entretien avec Ian Micheal, via Zoom, avril 2023.
[2] Robert Farris Thompson, Flash of the Spirit: African & Afro-American Art & Philosophy, Vintage Books, 1984, pp. 12-13.
[3] La Marr Jurelle Bruce, "Interludes in Madtime: Black Music, Madness, and Metaphysical Syncopation" dans Social Text, Issue 133, Vol. 35, No. 4, Dec. 2017, pp. 1-31.
[4] Denise Scott Brown, "Learning from Pop" dans Architecture Theory Since 1968 edité par K. Michael Hays, Columbia University Press, 1998, pp. 60-67.
[5] Paul Schimmel, "California Pluralism and the Birth of the Postmodern Era" dans Under the Big Black Sun: California Art 1974-1981, Los Angeles County Museum, 2011, pp. 16-18.
[6] Denise Scott Brown, "Learning from Pop" dans Architecture Theory Since 1968 edité par K. Michael Hays, Columbia University Press, 1998, pp. 60-67.
[7] City Rising: Gentrification and Displacement, diffusé sur PBS le 13 septembre 2017.